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RUY BLAS 1838
Victor Hugo (1802-1885)

Acte premier ; Scène première
DON SALLUSTE DE BAZAN, GUDIEL ; par instants RUY BLAS.

Le salon de Danaé dans le palais du roi, à Madrid. Ameublement magnifique dans le goût demi-flamand du temps de Philippe IV. A gauche, une grande fenêtre à châssis dorés et à petits carreaux. Des deux côtés, sur un pan coupé, une porte basse donnant dans quelque appartement intérieur. Au fond, une grande cloison vitrée à châssis dorés s'ouvrant par une large porte également vitrée sur une longue galerie. Cette galerie, qui traverse tout le théâtre, est masquée par d'immenses rideaux qui tombent du haut en bas de la cloison vitrée. Une table, un fauteuil, et ce qu'il faut pour écrire.
Don Salluste entre par la petite porte de gauche, suivi de Ruy Blas et de Gudiel, qui porte une cassette et divers paquets qu'on dirait disposés pour un voyage. Don Salluste est vêtu de velours noir, costume de cour du temps de Charles II. La Toison d'or au cou. Par-dessus l'habillement noir, un riche manteau de velours clair, brodé d'or et doublé de satin noir. épée à grande coquille. Chapeau à plumes blanches. Gudiel est en noir, épée au côté. Ruy Blas est en livrée. Haut-de-chausse et justaucorps bruns. Un surtout galonné, rouge et or. Tête nue et sans épée.

DON SALLUSTE
Ruy Blas, fermez la porte, - ouvrez cette fenêtre.
Ruy Blas obéit, puis, sur un signe de don Salluste, il sort par la porte du fond ; don Salluste va à la fenêtre. Il se tourne brusquement vers Gudiel.
Ils dorment encor tous ici. - Le jour va naître.
Ah ! c'est un coup de foudre !... - oui, mon règne est passé,
Gudiel ! - renvoyé, disgracié, chassé ! -
Ah ! tout perdre en un jour ! - L'aventure est secrète
Encor 1. N'en parle pas. - Oui, pour une amourette,
- Chose, à mon âge, sotte et folle, j'en convien -
Avec une suivante, une fille de rien !
Séduite, beau malheur ! Parce que la donzelle
Est à la reine, et vient de Neubourg avec elle,
Que cette créature a pleuré contre moi,
Et traîné son enfant dans les chambres du roi
Ordre de l'épouser. Je refuse. On m'exile.
On m'exile ! Et vingt ans d'un labeur difficile,
Vingt ans d'ambition, de travaux nuit et jour ;
Le président haï des alcades de cour
Dont nul ne prononçait le nom sans épouvante ;
Le chef de la maison de Bazan, qui s'en vante ;
Mon crédit, mon pouvoir ; tout ce que je rêvais,
Tout ce que je faisais et tout ce que j'avais,
Charge, emplois, honneurs, tout en un instant s'écroule
Au milieu des éclats de rire de la foule !
GUDIEL
Nul ne le sait encor, monseigneur.
DON SALLUSTE
                                             
Mais demain !
Demain on le saura ! - Nous serons en chemin.
Je ne veux pas tomber, non, je veux disparaître
Tu m'agrafes toujours comme on agrafe un prêtre !
Tu serres mon pourpoint, et j'étouffe, mon cher !
Oh ! mais je vais construire, et sans en avoir l'air,
Une sape profonde, obscure et souterraine !...
- Chassé ! -Il se lève.
GUDIEL
            
D'où vient le coup, monseigneur ?
DON SALLUSTE
                                                        
De la reine.
Oh ! je me vengerai, Gudiel ! - Tu m'entends !

Proposition de plan

Problématique : scène d'exposition, mais celle d'un drame romantique : les didascalies prennent beaucoup d'importance...
Représentation de conflits entre le Maître et ses valets :
- l'importance des indications scéniques : définition pointilleuse du cadre de l'action
- l'expression de la colère (l'alexandrin est très irrégulier !) et un portrait peu flatteur de DS (il fait peu de cas des "valets").

Analyse

RUY BLAS. Drame romantique en cinq actes et en vers de Victor Hugo (1802-1885), créé à Paris au théâtre de la Renaissance le 8 novembre 1838, et publié la même année.

Projet de l'auteur :

"Après la bataille d’Hernani, Hugo s’efforce de s’attirer un public tant bourgeois que populaire. L’échec de Le roi s’amuse, le triomphe de Lucrèce Borgia, que Marie Tudor ne confirma pas, le succès d’Angelo convainquent les auteurs-phares Dumas et Hugo de créer un théâtre où le drame romantique serait chez lui. Le théâtre de la Renaissance sera ce lieu, et, pour son ouverture, Hugo écrit Ruy Blas." (G. Gengembre)

Synopsis :

Au lever de rideau, le spectateur découvre un riche salon dans le palais du roi, à Madrid. Don Salluste de Bazan, disgracié par la reine d’Espagne, Doña Maria de Neubourg, médite sa vengeance : il va alors se servir de son valet Ruy Blas "Ver de terre amoureux d’une étoile". Il le présente à la cour comme son cousin César et lui ordonne de plaire à la Reine et d’être son amant

Après avoir été reconnu par la reine comme son mystérieux amoureux, Ruy Blas (portant toujours le nom de Don César) va vivre une ascension politique qui ne manquera pas de créer quelques jalousies (Don Guritan).

Au dénouement, Don Salluste croit tenir sa vengeance ("Ah ! vous m'avez cassé ! je vous détrône moi.") : dans une chambre retirée où il a fait venir la reine, il prétend la faire abdiquer et l'obliger à fuir avec Ruy Blas ("Vous gagnez le bonheur, si vous perdez le trône"). Mais celui-ci révèle qui il est à la reine. Révolté (enfin !) par tant d'ignominie, le domestique tue Don Salluste ("le démon ne peut plus être sauvé par l'ange") et avale un poison car la reine dit ne pouvoir lui pardonner. Il meurt dans les bras de la Reine, qui lui pardonne et l’appelle Ruy Blas.

"Leçon" ? :

La préface du drame expose la loi du genre : il "tient de la tragédie par la peinture des passions, et de la comédie par la peinture des caractères", et son projet : la pièce met en scène la scission de la noblesse, née de la décadence monarchique. Le peuple, incarné en Ruy Blas est le dépositaire de l’honneur, de l'amour, de l’autorité et de la charité.

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