Conflit, scène d'exposition

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Dom Juan, 1665
Acte I Scène 1 - Sganarelle, Gusman

Sganarelle, Tenant une tabatière- Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c'est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s'est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n'a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu'entre nous je te dise ma pensée ? J'ai peur qu'elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
Gusman. - Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t'inspirer une peur d'un si mauvais augure ? Ton maître t'a-t-il ouvert son cœur là-dessus, et t'a-t-il dit qu'il eût pour nous quelque froideur qui l'ait obligé à partir ?
Sganarelle. - Non pas ; mais, à vue de pays, je connais à peu près le train des choses ; et sans qu'il m'ait encore rien dit, je gagerais presque que l'affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l'expérience m'a pu donner quelques lumières.
Gusman. - Quoi ? ce départ si peu prévu serait une infidélité de Dom Juan ? Il pourrait faire cette injure aux chastes feux de Done Elvire ?
Sganarelle. - Non, c'est qu'il est jeune encore, et qu'il n'a pas le courage...
Gusman. - Un homme de sa qualité ferait une action si lâche ?
Sganarelle. - Eh oui, sa qualité ! La raison en est belle, et c'est par-là qu'il s'empêcherait des choses.
Gusman. - Mais les saints nœuds du mariage le tiennent engagé.
Sganarelle. - Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel homme est Dom Juan.
Gusman. - Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette perfidie ; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraître jusques à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa puissance, je ne comprends pas dis-je, comme, après tout cela, il aurait le cœur de pouvoir manquer à sa parole.
Sganarelle. - Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done Elvire, je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un Diable, un Turc, un Hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni saint, ni dieu, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, en pourceau d'épicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les remontrances chrétiennes qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a épousé ta maîtresse ; crois qu'il aurait plus fait pour contenter sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d'autres pièges pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, damoiselle, bourgeoise, paysanne, il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du ciel l'accable quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte en moi fait l'office du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous ; écoute, au moins je te fais cette confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

Molière, 1622-1673

Proposition collective

Deux centres d'intérêt peuvent être retenus :
- étudier comment se caractérise la relation entre Don Juan et Sganarelle (le conflit) puis,
- comment est présenté Don Juan par Sganarelle (portraits critiques portant sur le physique et le psychologique)...
Ne pas oublier de centrer l'étude sur cette problématique : la fonction de la scène d'exposition (son originalité ou non dans ce texte).

Introduction

La 1ère scène d'une pièce de théâtre est appelée scène d'exposition. Le spectateur y attend différents renseignements qui vont l'aider à comprendre le sujet de la pièce, l'intrigue, les relations entre les personnages et leurs caractéristiques psychologiques.
Dans la scène 1 de l'acte I de Dom Juan (1665), Molière met en scène un dialogue entre Sganarelle (valet de Don Juan), et Gusman, écuyer de Done Elvire (la femme de Don Juan) que ce dernier vient d'abandonner. Sganarelle fait, en l'absence de Don Juan, un portrait de celui-ci, destiné à prévenir Gusman - et le spectateur - de l'immoralité chronique de son maître.
Trois centres d'intérêt peuvent être retenus. Tout d'abord, nous nous arrêterons sur l'originalité de cette scène d'exposition, puis nous nous attacherons à voir comment Don Juan est présenté par Sganarelle, ce qu'il entend par un "grand seigneur méchant homme". En dernier lieu, nous verrons comment Sganarelle, en brossant le portrait d'un autre, se présente lui-même, justifiant pour la première (et dernière) fois, librement, son attitude (critique ?) face à Don Juan.

Développement : un portrait en négatif

L'éloge du tabac : le tabac nous est présenté comme une image inversée de Don Juan qui est si peu fréquentable.
Portrait de Don Juan : un portrait précis (conflit interne de personnage)
Portrait de Sganarelle : il veut se montrer supérieur, en fait, Sganarelle singe Don Juan

Conclusion

Don Juan est donc présenté par Sganarelle comme un parfait libertin, amateur de femmes et impie, n'écoutant que ce qui est dicté par son propre plaisir : comportement socialement inacceptable. Si Sganarelle utilise le langage des dévots pour stigmatiser le dérèglement moral de son maître, il ne justifie pas son attitude soumise et hypocrite par la seule crainte mais bien aussi par une réelle admiration (conflit intérieur) qu'il a de ce maître-là. Dans Dom Juan, nous aurons rarement l'occasion d'entendre Sganarelle s'exprimer si librement sur son maître.
Nous avons encore noté qu'à l'occasion de ce portrait Sganarelle était l'un des premiers personnages à préfigurer le destin de Don Juan en laissant prévoir déjà la fin funeste de son maître, puni par le Ciel (résolution du conflit social) : le spectateur est averti et en attente du portrait du maître (Don Juan par Don Juan) se révélant lui-même...

Analyse

DOM JUAN ou le Festin de Pierre. Comédie en cinq actes et en prose de Molière, pseudonyme de Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), créée à Paris au théâtre du Palais-Royal le 15 février 1665, et publiée en 1682.

Projet de l'auteur :

Les dévots de la Compagnie du Saint-Sacrement se scandalisent contre le Tartuffe et font interdire la pièce… Dans l'histoire de Dom Juan, Molière va trouver un sujet très à la mode pour se moquer et exaspérer ses adversaires en montrant du doigt encore une fois ce qu'est la tartuferie même s'il doit, par précaution, châtier Dom Juan.

Synopsis :

Au lever de rideau Dom Juan est absent. Sganarelle, son valet, va nous dresser un portrait ambigu de son maître en expliquant à Gusman quel est "le pèlerin" : il vient d’abandonner Elvire, la dernière de ses épouses. Seule la conquête l’intéresse.

Au dénouement, suite à de nombreuses aventures (tentative d’enlèvement d’une jeune fiancée, séduction de Charlotte et de Mathurine, fuite devant douze hommes qui le recherchent, aide portée à un homme - Dom Carlos frère d'Elvire - attaqué par des brigands, invitation de la statue d'un défunt jaloux - tué par ses soins - à dîner…) qui sont autant d'affronts contre "le Ciel", la statue du Commandeur plonge l’impie en enfer.

"Leçon" ? :

"L’histoire de Dom Juan est celle d’une double traque où peu à peu le chasseur est réduit au rôle de gibier".
(G. FERREYROLLES in le "Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française").


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Le jeu de l`amour et du hasard 1730
Acte I scène 1 - SILVIA, LISETTE

SILVIA. Mais encore une fois, de quoi vous mêlez-vous, pourquoi répondre de mes sentiments ?
LISETTE. C'est que j'ai cru que, dans cette occasion-ci, vos sentiments ressembleraient à ceux de tout le monde ; Monsieur votre père me demande si vous êtes bien aise qu'il vous marie, si vous en avez quelque joie ; moi je lui réponds qu'oui ; cela va tout de suite ; et il n'y a peut-être que vous de fille au monde, pour qui ce oui ne soit pas vrai ; le non n'est pas naturel.
SILVIA. Le non n'est pas naturel, quelle sotte naïveté ! le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ?
LISETTE. Eh bien, c'est encore oui, par exemple.
SILVIA. Taisez-vous, allez répondre vos impertinences ailleurs, et sachez que ce n'est pas à vous à juger de mon cœur par le vôtre.
LISETTE. Mon cœur est fait comme celui de tout le monde de quoi le vôtre s'avise-t-il de n'être fait comme celui de personne ?
SILVIA. Je vous dis que, si elle osait, elle m'appellerait une originale.
LISETTE. Si j'étais votre égale, nous verrions.
SILVIA. Vous travaillez à me fâcher, Lisette.
LISETTE. Ce n'est pas mon dessein ; mais, dans le fond, voyons, quel mal ai-je fait de dire à Monsieur Orgon que vous étiez bien aise d'être mariée ?
SILVIA. Premièrement, c'est que tu n'as pas dit vrai, je ne m'ennuie pas d'être fille.
LISETTE. Cela est encore tout neuf.
SILVIA. C'est qu'il n'est pas nécessaire que mon père croie me faire tant de plaisir en me mariant, parce que cela le fait agir avec une confiance qui ne servira peut-être de rien.
LISETTE. Quoi, vous n'épouserez pas celui qu'il vous destine ?
SILVIA. Que sais-je ? peut-être ne me conviendra-t-il point, et cela m'inquiète.
LISETTE. On dit que votre futur est un des plus honnêtes du monde, qu'il est bien fait, aimable, de bonne mine, qu'on ne peut pas avoir plus d'esprit, qu'on ne saurait être d'un meilleur caractère ; que voulez-vous de plus ? Peut-on se figurer de mariage plus doux ? d'union plus délicieuse ?
SILVIA. Délicieuse ! que tu es folle avec tes expressions.
LISETTE. Ma foi, Madame, c'est qu'il est heureux qu'un amant de cette espèce-là veuille se marier dans les formes ; il n'y a presque point de fille, s'il lui faisait la cour, qui ne fût en danger de l'épouser sans cérémonie ; aimable, bien fait, voilà de quoi vivre pour l'amour ; sociable et spirituel, voilà pour l'entretien de la société : pardi, tout en sera bon, dans cet homme-là, l'utile et l'agréable, tout s'y trouve.
SILVIA. Oui, dans le portrait que tu en fais, et on dit qu'il y ressemble, mais c'est un on dit, et je pourrais bien n'être pas de ce sentiment-là, moi ; il est bel homme, dit-on, et c'est presque tant pis.
LISETTE. Tant pis, tant pis, mais voilà une pensée bien hétéroclite !
SILVIA. C'est une pensée de très bon sens ; volontiers un bel homme est fat, je l'ai remarqué.
LISETTE. Oh, il a tort d'être fat mais il a raison d'être beau.
SILVIA. On ajoute qu'il est bien fait ; passe.
LISETTE. Oui-da, cela est pardonnable.
SILVIA. De beauté, et de bonne mine, je l'en dispense, ce sont là des agréments superflus.
LISETTE. Vertuchoux ! si je me marie jamais, ce superflu-là sera mon nécessaire.
SILVIA. Tu ne sais ce que tu dis ; dans le mariage, on a plus souvent affaire à l'homme raisonnable qu'à l'aimable homme : en un mot, je ne lui demande qu'un bon caractère, et cela est plus difficile à trouver qu'on ne pense ; on loue beaucoup le sien, mais qui est-ce qui a vécu avec lui ? Ces hommes ne se contrefont-ils pas, surtout quand ils ont de l'esprit ? n'en ai-je pas vu, moi, qui paraissaient, avec leurs amis, les meilleures gens du monde ? c'est la douceur, la raison, l'enjouement même, il n'y a pas jusqu'à leur physionomie qui ne soit garante de toutes les bonnes qualités qu'on leur trouve. Monsieur un tel a l'air d'un galant homme, d'un homme bien raisonnable, disait-on tous les jours d'Ergaste. Aussi l'est-il, répondait-on, je l'ai répondu moi-même, sa physionomie ne vous ment pas d'un mot. Oui, fiez-vous-y à cette physionomie si douce, si prévenante, qui disparaît un quart d'heure après pour faire place à un visage sombre, brutal, farouche, qui devient l'effroi de toute une maison. Ergaste s'est marié, sa femme, ses enfants, son domestique, ne lui connaissent encore que ce visage-là, pendant qu'il promène partout ailleurs cette physionomie si aimable que nous lui voyons, et qui n'est qu'un masque qu'il prend au sortir de chez lui.
LISETTE. Quel fantasque avec ces deux visages !
SILVIA. N'est-on pas content de Léandre quand on le voit ? Eh bien chez lui, c'est un homme qui ne dit mot, qui ne rit ni qui ne gronde ; c'est une âme glacée, solitaire, inaccessible ; sa femme ne la connaît point, n'a point de commerce avec elle, elle n'est mariée qu'avec une figure qui sort d'un cabinet, qui vient à table, et qui fait expirer de langueur, de froid et d'ennui tout ce qui l'environne ; n'est-ce pas là un mari bien amusant ?
LISETTE. Je gèle au récit que vous m'en faites

Marivaux, 1688-1763

Elise nous proposait :

 Introduction :

Entre le 17ième  et le 18ième siècle le théâtre est en évolution, on passe du théâtre de farce au théâtre comique (plus subtile).
Marivaux dramaturge du 18ième siècle écrit en 1730 " Le jeu de l’amour et du hasard" qui relate l’histoire  d’une jeune femme cherchant un mari à son goût et non à celui de son père.
Nous nous trouvons Acte 1 scène 1 dans la scène d'exposition de la pièce mettant en scène Silvia et sa soubrette Lisette.
Quelles sont les thèses réfutées par les personnages en présence ?
Nous procèderons par une lecture analytique.
Nous étudierons tout d’abord la relation entre la maîtresse et sa domestique, puis les désaccords.

Développement :

La relation entre la maîtresse et sa domestique...
Les désaccords idéologiques...

Conclusion :

Tout au long du texte on assiste à la mise en scène de conflits qui perturbent la société  du 17ième. On peut penser que Marivaux, dans cette scène d’exposition, met en évidence l’inégalité homme / femme. Silvia est un personnage évolué qui cherche les réformes sociales alors que Lisette est un personnage conformiste.
On peut constater qu’à cette époque d’autres auteurs ont utilisé cette méthode d’écriture pour critiquer la société.
(question à développer dans l'entretien si l'examinateur vous y invite).

 

 


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LORENZACCIO, 1834

Acte I, Scène 1

Un jardin.
Clair de lune ; un pavillon dans le fond, un autre sur le devant.
Entrent LE DUC et LORENZO, couverts de leurs manteaux ;
GIOMO une lanterne à la main.

LE DUC. - Qu'elle se fasse attendre encore un quart d'heure, et je m'en vais. Il fait un froid de tous les diables.
LORENZO. - Patience, altesse, patience.
LE DUC. - Elle devait sortir de chez sa mère à minuit ; il est minuit, et elle ne vient pourtant pas.
LORENZO. - Si elle ne vient pas, dites que je suis un sot, et que la vieille mère est une honnête femme.
LE DUC - Entrailles du pape ! avec tout cela je suis volé d'un millier de ducats !
LORENZO. - Nous n'avons avancé que moitié. Je réponds de la petite. Deux grands yeux languissants, cela ne trompe pas. Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la débauche à la mamelle ? Voir dans une enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d'ami, dans une caresse au menton - tout dire et ne rien dire, selon le caractère des parents - ; habituer doucement l'imagination qui se développe à donner des corps à ses fantômes, à toucher ce qui l'effraye, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu'on ne pense ; le vrai mérite est de frapper juste. Et quel trésor que celle-ci ! tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à Votre Altesse ! Tant de pudeur ! Une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte. Proprette comme une Flamande ! La médiocrité bourgeoise en personne. D'ailleurs, fille de bonnes gens, à qui leur peu de fortune n'a pas permis une éducation solide ; point de fond dans les principes, rien qu'un léger vernis ; mais quel flot violent d'un fleuve magnifique sous cette couche de glace fragile qui craque à chaque pas ! Jamais arbuste en fleur n'a promis de fruits plus rares, jamais je n'ai humé dans une atmosphère enfantine plus exquise odeur de courtisanerie.
LE DUC. - Sacrebleu ! je ne vois pas le signal. Il faut pourtant que j'aille au bal chez Nasi ; c'est aujourd'hui qu'il marie sa fille.
GIOMO. - Allons au pavillon, monseigneur. Puisqu'il ne s'agit que d'emporter une fille qui est à moitié payée, nous pouvons bien taper aux carreaux.
LE DUC. - Viens par ici ; le Hongrois a raison. (Ils s'éloignent - Entre MAFFIO.)
MAFFIO. - Il me semblait dans mon rêve voir ma soeur traverser notre jardin, tenant une lanterne sourde, et couverte de pierreries. Je me suis éveillé en sursaut. Dieu sait que ce n'est qu'une illusion, mais une illusion trop forte pour que le sommeil ne s'enfuie pas devant elle. Grâce au ciel, les fenêtres du pavillon où couche la petite sont fermées comme de coutume; j'aperçois faiblement la lumière de sa lampe entre les feuilles de notre vieux figuier. Maintenant mes folles terreurs se dissipent ; les battements précipités de mon coeur font place à une douce tranquillité. Insensé ! mes yeux se remplissent de larmes, comme si ma pauvre soeur avait couru un véritable danger. - Qu'entends-je ? Qui remue-là entre les branches ? (La soeur de MAFFIO passe dans l'éloignement.) Suis-je éveillé ? c'est le fantôme de ma soeur. Il tient une lanterne sourde, et un collier brillant étincelle sur sa poitrine aux rayons de la lune. Gabrielle ! Gabrielle ! où vas-tu ? (Rentrent GIOMO et LE DUC.)
GIOMO. - Ce sera le bonhomme de frère pris de somnambulisme. Lorenzo conduira votre belle au palais par la petite porte ; et quant à nous, qu'avons-nous à craindre ?
MAFFIO. - Qui êtes-vous ? Holà ! arrêtez ! (Il tire son épée.)
GIOMO. - Honnête rustre, nous sommes tes amis.
MAFFIO. - Où est ma soeur ? que cherchez-vous ici ?
GIOMO. - Ta soeur est dénichée, brave canaille. Ouvre la grille de ton jardin.
MAFFIO. - Tire ton épée et défends-toi, assassin que tu es !
GIOMO saute sur lui et le désarme. - Halte-là Maître sot ! pas si vite.
MAFFIO. - O honte ! O excès de misère ! S'il y a des lois à Florence, si quelque justice vit encore sur la terre, par ce qu'il y a de vrai et de sacré au monde, je me jetterai aux pieds du duc, et il vous fera pendre tous les deux.
GIOMO. - Aux pieds du duc ?
MAFFIO. - Oui, oui, je sais que les gredins de votre espèce égorgent impunément les familles. Mais que je meure, entendez-vous, je ne mourrai pas silencieux comme tant d'autres. Si le duc ne sait pas que sa ville est une forêt pleine de bandits, pleine d'empoisonneurs et de filles déshonorées, en voilà un qui le lui dira. Ah ! massacre ! ah ! fer et sang ! j'obtiendrai justice de vous !
GIOMO l'épée à la main. - Faut-il frapper, Altesse ?
LE DUC. - Allons donc ! frapper ce pauvre homme ! Va te recoucher, mon ami ; nous t'enverrons demain quelques ducats. (Il sort.)
MAFFIO. - C'est Alexandre de Médicis !
GIOMO. - Lui-même, mon brave rustre. Ne te vante pas de sa visite, si tu tiens à tes oreilles. (Il sort.)

A. de MUSSET, 1810-1857.

Introduction proposée par Malika :

Une scène d’exposition au théâtre a pour but de renseigner les lecteurs et les spectateurs sur les différents points concernant l’identité et le caractère des personnages, sur les conflits présents et si possible, faire apparaître une suite.
Ce texte, AI sc.1 du Lorenzaccio de Musset, se situe la nuit, et met en scène Le Duc, Lorenzo, Giomo et Maffio qui est le frère de la jeune fille attendue par Le Duc.
Nous étudierons dans une première partie, les personnages (leurs caractères, leur identité...) et dans une seconde partie les conflits présents dans cette scène.

Analyse

LORENZACCIO. Drame en cinq actes et en prose d’Alfred de Musset (1810-1857), publié dans Un spectacle dans un fauteuil en 1834

Projet de l'auteur :

De la vanité de l'action politique ? Lorenzaccio est un drame romantique dans toute son ampleur : "l’histoire d’une conscience tourmentée au sein d’un univers historique précis et foisonnant" (Court-Perez) foisonnant quant à la langue, aux personnages et aux décors.

Musset plus intéressé par la langue que par la politique met en scène ici le discrédit de la scène politique : les insurgés des Trois Glorieuses ne ressembleraient-ils pas aux républicains de 1537 ?

Synopsis :

Au lever de rideau, le duc Alexandre de Médicis attend impatiemment, avec Lorenzo - son cousin et entremetteur - une jeune fille "à moitié payée". L'action se passe un soir dans un jardin de Florence…
Au dénouement, alors que les sentiments patriotiques de la bourgeoisie comme du peuple n'ont cessé d'être agressés par les agissements de ce pouvoirs dévoyé (Salviati, Cibo…), alors que Lorenzo aura affirmé son engagement républicain et tué le Duc, rien ne bouge à Florence… Lorenzo, abandonné de tous, se laisse assassiner…

"Leçon" ? :

Lorenzo est proche de l’anti-héros du XXe siècle et assez loin du héros romantique (Ruy Blas). Pour lui la politique est pure vanité. Le meurtre d’Alexandre est un acte gratuit !
"Lorenzo incarne l’impossible pureté ; il ne redeviendra plus jamais le pur adolescent qu’il était (thème autobiographique récurrent), et un geste "théâtral" ne résoudra rien ; "Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ?", dit Lorenzo à Philippe." (F. COURT-PEREZ in le " Dictionnaire des œuvres littéraires de langue française").


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Jacques et son Maître, 1981
Acte I, Scène 1

[ Analyse ]

Plan proposé par Tristan.

1 - Introduction

"Jacques et son maître" est une pièce de théâtre écrite par Kundera (écrivain français d'origine tchèque) en 1981 à partir d'un roman de Diderot (1796). Dans la scène d'exposition nous avons affaire à un texte informatif. En effet, cette scène informe le lecteur-spectateur sur les personnages puis elle pose les bases de l'action. Elle semble traditionnelle mais, cependant, elle n'est pas si complète que cela.
C'est l'histoire d'un valet qui se confie à son maître lui disant qu'il était tombé amoureux d'une jeune femme mariée qui l'avait secouru.
Dans un premier temps nous nous intéresserons aux personnages présents dans la scène d'exposition ; par la suite au conflit qui oppose maître valet ;et dans une troisième partie nous développerons la scène d'exposition

2 - Développement

a) - les personnages
b) - le conflit maître valet
c) - la scène d'exposition : originalité et tradition

3 - la conclusion

Donc la scène d'exposition met en scène le conflit entre un maître et son valet. À la fin de cette scène le public comme les lecteurs ont envie de connaître la suite de l'histoire car le maître termine par : "décrits-la moi".
Cette pièce est bien différente de "Jacques le fataliste et son Maître" écrit par Denis Diderot en 1796 (ouverture possible, mais uniquement si vous savez développer cette question...).

Analyse

Jacques et son maître. Comédie "hommage à Diderot" en trois actes et en prose de M. Kundera, créé à en 1981, et publié en 1993.

Projet de l'auteur :

"Jacques et son maître n'est pas une adaptation ; c'est ma propre pièce, ma propre variation sur Diderot, ou bien, puisque conçue dans l'admiration, mon "hommage" à Diderot. […] mais aussi un hommage au roman en essayant de prêter à ma comédie cette liberté formelle que Diderot-romancier a découverte. " (M. K.). L'élévation du sentiment au rang de valeur est une dangereuse imposture.

Synopsis :

Au lever de rideau, les spectateurs par leur présence déconcertent deux personnages : Jacques et son Maître. Passée cette surprise, ils vont ensuite entamer une discussion philosophique ou l'histoire des amours de Jacques

Au dénouement, après avoir raconté bon nombre d'histoires et rencontré nombre de personnages (Bigre, Justine, St Ouen, Mme de la Pommeraye…), le maître, seul en scène, croit avoir perdu Jacques. Ils se retrouvent, découvrent qu'ils ne peuvent "pas vivre l'un sans l'autre". Ils ne savent toujours pas où ils vont si ce n'est "en avant".

"Leçon" ? :

Cette pièce "qui est une variation sur Diderot est en même temps un hommage à la technique des variations, de même que l'a été, sept ans plus tard, mon roman le livre du rire et de l'oubli" (M. K.), est encore un dialogue entre Kundera et Diderot, un dialogue entre deux genres - le théâtre et le roman. - grâce à une mise en scène dédoublée qui recrée l'univers du " Jacques le Fataliste et son maître" : "la répétition est une manière de rendre la frontière visible" (Jan in le livre du rire et de l'oubli) ; Jacques et son maître n'est surtout pas un "rewriting".

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