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Portée littéraire ou questions d'entretien


I- Pourquoi l'étude d'une BD et plus précisément de cette BD ?

Étude d'une BD ?

Début

Parce que sous des dehors de facilité (c'est la réputation de la BD dans la tradition parentale et parfois scolaire) liée à une très grande hétérogénéité de ces récits (grand écart entre les bandes bon marché et les albums coûteux, écart que l'on retrouve cependant dans le genre romanesque entre les romans dits "SNCF" et les "classiques" !), le récit en images se pose comme un récit situé entre le roman et le cinéma et pose ainsi les problèmes de narratologie rencontrés dans ces deux techniques narratives : heureux croisement entre les 7e et 9e arts..

Et pourquoi précisément cette BD ?

Début

Récente, le Sommeil du Monstre est une œuvre à part entière : écrite, dessinée et mise en couleur avec art. Elle présente un intérêt historique (conflit Yougoslave, l'auteur est né à Belgrade) et de grandes qualités narratives (insertion dans la production cinématographique et BDiste actuelle majeure - cf. les citations dès l'incipit).

Prolongement, pour nous, du "récit de vie" (dans la tradition inaugurée par Les Confessions de J.J. Rousseau) objet d'études type, sous la forme d'un autre genre avec la BD. Au début de cette trilogie annoncée, Enki-Nike est embarqué dans un récit qui commence par "I remember" et dans lequel se pose, comme chez Rousseau, le problème (fictif ici ?) de sa vérité et de son exactitude (cf. l'entretien avec la journaliste dans l'incipit : un projet autobiographique annoncé) Ainsi s'engage un pacte narratif qualifié de "fantasmatique" par Ph. Lejeune : le lecteur est invité à lire ce récit "non seulement comme une fiction renvoyant à une vérité de la "nature humaine", mais aussi comme des fantasmes révélateurs d'un individu.".

Intégration du mythe (cf. Q.5)


II- Quelle est l'histoire racontée ?

Un récit éclaté :

Début

La difficulté de lecture vient du fait que ce soit un récit éclaté qu'il faut reconstruire. Les espaces diégétiques ne sont pas en continu. Par exemple :
- page 33, la dernière vignette, isolée, est à mettre en lien avec les faits racontés à la page précédente et elle interrompt la séquence narrative en cours : la visite de Nike chez le docteur Koetsu ;
- pages 68 et 69, pour dire de façon compliquée ce qui est immédiat à la lecture : trois séquences imbriquées sont présentées comme étant simultanées : les "retrouvailles" entre Nike et Leyla sont interrompues par le récit de la tentative d'Amir de réapprivoiser Sacha... interrompu lui-même par le récit de la mort du père de Leyla ("gravement heureux"). Le texte comme le graphisme nous disent ces liens et ces ruptures : "je vous dérange peut-être" (mimétique ou métaphorique du dérangement du récit ? p.68 v.2), rupture graphique dans l'enchaînement des différents lieux où se passent les actions : désert de sable, désert de neige, l'espace et la mort ; rupture de ton : gravité de Leyla, mort du père... Minicat et ses jeux.

La diégèse :

Début

Le récit secondaire (récit de son passé - 1993) assumé par le narrateur Nike - est interrompu par le récit principal - diégèse - et la présentation du contexte : Nike vit sa vie en 2026, récit lui-même interrompu par le récit de vie des autres personnages dans ce contexte.

Ainsi, cinq aventures se croisent au rythme des cinq personnages principaux, en cinq ou six lieux et deux époques :
- Sarajevo en 1993 : Nike se souvient de ses premiers jours et de la présence d'Amir et de Leyla (de J. 18 à J. 1)
- New York en 2026 avec Nike, le narrateur, celui qui dit "I remember", celui qui jure de protéger Amir et Leyla
- Autour de la terre en 2026 dans Hubble 4 ou dans le désert du Nefoud avec Leyla, son père ou Finch.
- Moscou et la Sibérie en 2026 avec Amir et Sacha enrôlés malgré eux dans la faction terroriste du "double O".
- En tous ces lieux en 2026 : l'on suit le Docteur Warhole (ou ses clones), le "savant fou" (?) meneur dans cette histoire de destruction (politique fiction).

Récit éclaté et éclatement de la Yougoslavie...


III- Bilal est-il Serbe, Croate ou Musulman ?

Début

Nike ne répond pas à la question que lui pose la journaliste... est-il "Serbe, Croate, ou Musulman ? Serbo-musulman, ou Croato-Serbe ? Musulmano-Croate ou ser..." (P.8 v.2 ; p.15 v.3) ?

Enki Bilal est l'auteur de cette BD, il est né à Belgrade ; depuis longtemps il se dit "hanté par la mémoire et la faculté d'oubli" des hommes... Il souffre, comme nous, plus que nous, de ce qu'on appelle pudiquement le "problème Yougoslave" ou "l'affaire yougoslave". À cette question sur sa nationalité, on peut, peut-être, prendre à son compte la réponse d'Amir (troisième personnage central du Sommeil du monstre (p.47 v.3) "Je suis agnostique, monsieur, de type plutôt borné. Bosniaque, musulman ou Serbe. Au choix... à moins que ce ne soit Croate, Slovène, Monténégrin, Macédonien, ou Kosovar... Mais en tout état de cause, quelqu'un qui a su prendre la vraie mesure de l'histoire et de la mémoire".

Bilal ne souhaite pas réellement répondre à cette question : "le problème yougoslave" existe justement depuis que se pose l'éclatement de la Yougoslavie en 6 provinces : Serbie, Macédoine, Kosovo, Monténégro, Bosnie, Croatie... (cf. p.58 v.1 : "les Balkans restent depuis l'éclatement de la Yougoslavie du siècle dernier, le laboratoire préféré de la communauté internationale.") : "Jebem ti rat i rupu !" (p.16 v.4).
Lire cet entretien à "NPA"


IV- Quelle est la spécificité du récit en BD ?

Début

C'est un récit : il pose des questions de narratologie. Comment une histoire se raconte-t-elle ?


V- Quel est l'aspect politique de ce récit ?

Début

(cf. p.26)

Politique-Fiction ?

Présentation d'une faction terroriste avec :
- Un meneur, le docteur Optus Warhole (présenté comme un as du double-jeu p.38), se qualifie lui-même de "fou zigzaguant" (p.49 v.4).
- Un armement futuriste des plus sophistiqué (p.23 p.41 p.49 "système satellite-laser"), capable d'actions inédites (opération de Nike décrite p.34 v.1), des mouches mécaniques destructrices (p.40 v.5).
- Un projet destructeur (p.49 v.4) accompagné d'agissements violents : attentat du Water Shop, attentat contre le navire d'observation astronautique T. Brahé (p.23) "l'observatoire flottant", attentat contre Hubble 4 (mort de Finch) et contre le CSPREA réuni dans la tour Eiffel (p.43), enrôlement et soumission de Amir et de Sacha (p.30, p.43, p.47) : "la notion de couple ou d'individu n'a plus cours ici, mademoiselle 44-766" (p.46) ; tentative de soumission de Nike (p.34)...
- Une Organisation (le "double O") : l'Obscurantis Order (qualifié de "petite mafia intégriste" par Nike p.20 v.1), sorte de Méduse (une "puissance de guerre" rectifie Cobbéa cf. p.20 v.2) qui a l'intention de tuer "tout ce qui touche à la pensée, à la science, à la culture et à la mémoire..." (p.20 v.4). Nike risque ainsi d'être "instrumentalisé" (opération p.34), dans le cadre d'un "révisionisme historique", une politique de la "table rase" commencée en 2018 : "seuls 499 mots sont autorisés et enseignés" (p.26). Allusion à des propos politiques de partis s'opposant en 1999 à une "culture de gauche" : "il faut se débarraser des socialistes" dit N. Sarkozi en ouvrant sa campagne aux européennes sur France Inter, le mardi 27/04/99, vers 8 h 35 ?

Réalité ?

Début

Littéraire avec cette allusion à Pérec et à son Je me souviens (autre récit de vie !).

Historique : Bilal est né à Belgrade en 1951. Il porte aujourd'hui un discours sincère (intervention sur Canal Plus vendredi 9 avril) sur le conflit yougoslave et ses origines. Ainsi cette BD se raconte sur fond d'actualité avec le conflit yougoslave dès 1993 (cf. p. 45 v.4).

Des éléments sont empruntés à notre réalité. Sérieusement : Hubble (observatoire scientifique, humour grinçant avec cette allusion aux yeux de cet observatoire aveugle : "Hubble eye" p.32 v.4), les luttes des factions extrémistes et des intégristes (Algérie, Serbie...), éradication au Kossovo, mafias (russe ou albanaise, trafic d'armes sophistiquées).... ; ou par jeu : anagramme entre Enki et Nike personnage-auteur...

Le mythe ?

Début

Méduse :
la seule des trois Gorgones à n'être pas immortelle. Et pourtant... Image forte de la peur qu'elle inspire aux humains. Méduse ici est représentée par Obscurantis Order (ordre de l'ombre) qui impose une pensée unique et terrorise le monde libre.
Les Mouches... (cf. Q.7).
La bête immonde... et ses réminiscences historiques.

VI- Comment parler du "style" Bilal ?

Graphisme :

Début

Immense travail du graphisme depuis La Croisière des Oubliés en 1975 : une autre maîtrise picturale.

Dans Le Sommeil du Monstre on peut découvrir, au fil des pages, les influences manifestes du cinéma dans la composition narrative (E. Bilal est le réalisateur de deux films : Bunker Palace Hôtel (1989) et Tykho Moon (1997). Deux films très influencés par l'art de la BD ! (Inter pénétration des styles manifeste !) : la citation de référence au cinéma de Luc Besson (Le cinquième élément p.6 v.1, 2) et à Mézière (p.6 v1 "Mézi-cab" ou "...zière" p.8 v.1) dessinateur du personnage de Valérian (Bande dessinée de science fiction - scénario de Christin - considérée comme une référence dans le genre).

Il y a un véritable art du portrait (gros plans), un souci du montage original de l'histoire sous la forme d'un schéma narratif éclaté (cf. Q.2).

Discours en image ou l'image du discours ?

Les phylactères (bulles, ballons) rectangulaires traduisent un discours et le ton de celui-ci, ils empiètent sur les images alentour pour laisser une grande part au graphisme ou guider la lecture.

Le message radio (p.28 !), texte tête en bas comme son personnage, le message de l'ordinateur de bord (p.42 v.4) la pensée (p.33 v.3), le texte traité comme une vignette (p.64 v.1) : la grammaire du texte mis en image traduit ici le canal (médium) du message.

Article de journal (p.45 en double page, mimétiques - ou presque - d'un quotidien),

Le mal de tête (p.35 p.35 v.3) : métaphore du "casque" d'une migraine et la couleur rouge comme une métaphore filée pour représenter tous les maux.

Discours des machines d'Obscurantis Order sur fond noir (p.46)

Contamination du discours narratif avec le discours environnant (p.52 v.3 p.54 v.1) pour quel effet ? Obscurantis Order contamine même l'auteur (p. 46, 47, 50, 54, vignettes 1, l'espace diégétique est écrit en caractères blancs sur fond noir.) ?.

L'expression sonore :

Début

Le cri d'angoisse (p.40 v.2, 3) ou de colère (p 41 v.1, 3 ; p.60 v.4 p.67 v.3) est traduit par des caractères gras, plus volumineux (taille du caractère plus important) pour indiquer le niveau sonore.

Le bruit de la mouche est graphique : "dans un bruit de ventilateur" représenté par les zébrures noires des ailes, ou le zigzag rouge qui la suit.

Le texte de la narration rapportée à Leyla allongée dans le sable (image de fin), discours sur les années 1990 est maintenant dans un cadre (phylactère) bleu et non plus noir : message d'avenir plus radieux ?

Le bruit (p. 39 v.5) d'une communication téléphonique représenté par des hachures, p. 62 dernière vignette) "un drôle de bruit" représenté par l'image d'un véhicule délabré.

Le bruit des tirs ou d'une explosion (p.66 dernière vignette, p.67 v.2) n'est que graphique : dessin d'impacts et d'éclats... sans onomatopées ridicules (?).


VII- Les personnages en présence ?

Début

Des actants à l'allure humaine :

Les personnages principaux (voir Q.1) et leurs répliques "embarrassantes" (p.48 v.7) : Warhole est toujours (?) cloné.

Les animaux :

Début

Ils ne sont plus, dans ce monde-ci, ce qu'ils sont de nos jours...

  1. Les insectes ont investi la ville. Leur présence et leur nombre connotent l'état de délabrement inqiétant de l'environnement (p.7 v.1)
  2. Les mouches mécaniques (ou non) : un animal récurrent, omniprésent, symbole du mal (les Mouches de J.P. Sartre, les Érinyes - ou Euménides - au corps ailé et à la chevelure de serpent dans le mythe antique) qui, mécaniques, parcourent la surface de la terre - comme les bombes - pour tourmenter les humains qui ne respectent pas l'Ordre (p.30 v.1, p.43 v.2, p.48 v.3-4), mouche qualifiée de "Sainte Mouche", "Ouvrière de Dieu" p.43 v.2 et 4) ; mouches réelles, qui tourmentent les enfants de l'hôpital (p.5 v.1, p.50 v.5 : "une mouche écrasée c'est comme un tableau abstrait [...] une fleur malade, un crabe mutant [...], un sourire de purificateur ethnique, un burek mal cuit, [...] un intellectuel médiatico-zélé, un décret du Conseil de l'Onu, une vue aérienne de ville blessée, [...] Sarajevo, mourante.").
  3. Un oiseau (p.34 v.1), ou des oiseaux réduits à de simples taches ? (p.30 v.2 )
  4. Des thons sauvages (p.17) : isolé "importé, fraîchement décongelé" et "ça pue", ou multiples et volants (p. 23 v.1 p.67), fil directeur dans la relation Amir/Sacha
  5. "Minicat" p.34-35 : toujours présent sur Koetsu, ami de Nike, capable de sauver momentanément son maître (p.60 v.3)
  6. L'âne en forme de bonnet sur la tête de Koetsu (p.34 v.1) : un bonnet d'âne sur la tête d'un savant mercantile ! Ce symbole aurait-il un autre sens ?

Le décor :

Début

L'image est, bien sûr, fondamentalement descriptive. Comme dans toute histoire de science fiction, le narrateur doit nous faire entrer dans un univers plausible : l'image aura ce rôle ici de nous faire découvrir un nouveau monde, celui de 2026. Un monde à la fois proche du nôtre et en profond décalage. Par exemple, dans l'incipit (fonction informative du début d'une histoire), nous pouvons découvrir New-York comme nous ne l'avons jamais vu : ville en ruine, véhicules volants, air épais, pollution importante, insectes foisonnants... Seul le toit des voitures est bleu, comme un ciel au-dessus des passagers...

Le sommeil du Monstre : trois, quatre héros ou plus ?

Début

Nike, Leyla, Amir, Sacha et le décor !

L'environnement reçoit chez Bilal un soin graphique tout particulier : peu ou pas d'aplats, une réelle précision du décor et des visages... Mais cette application est là pour traduire des visages marqués, des ruines, une lèpre qui s'accroche. Le décor souffre autant que les personnages : tous, êtres comme objets, attendent "réparation". La société de 2026, dans cette prospective politico-sociale, semble ne produire plus rien de neuf : elle bricole l'ancien. Et, comme faute d'avenir, elle nous présente les résurgences de son passé : notre présent rafistolé, brinquebalant, usé. Plus rien n'est nouveau dans cette société ! Plus jamais ça ?... mais la lèpre tout comme la Peste et la bête immonde envahissent toujours cette réalité, notre réalité : le monstre se révéille ?. L'air est épais : la brume omniprésente laisse des traces sur les véhicules et les attrape comme un cancer qui les ronge. Le bleu du ciel s'accroche sur le seul pavillon intérieur des "yellow cab" volants, détériorés. Le monde du futur est un clone du nôtre, mais en moins bien réussi, défiguré. Tout y est artifice. Même les personnages sont souvent des clones de leur original en plus laids, en plus viles, en plus rapiécés et plus destructeurs : "en chair et en os", mais pas "en personne". Leyla, Sacha, Amir et Nike nous touchent par leur authenticité... "Je me souviens".

S'intéresser à la mémoire sans s'intéresser au passé ? N'est-ce pas parler de cet immobilisme des forces vives ? C'est parler du temps arrêté : le temps s'est arrêté hier... mais pas l'érosion. Du "Je me souviens" de Perec au "I remember" de Nike, il reste cette promesse faite de secourir Amir et Leyla (le seul personnage qui sourit !). "Le présent c'est ce rendez-vous que je n'aime pas", c'est notre rendez-vous avec une BD qui nous raconte Milosevic/Warhole : une Histoire qui s'enlise, un marché qui attire. Demain, c'est l'attente du tome 2, l'espoir d'une fidélité de paroles et des rendez-vous réussis.


VIII- Quelle portée prêter à cette histoire ?

A finir

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