La description...

[Mme Bovary] [Ventre de Paris] [Ventre de Paris] [Bête humaine] [Mémoire d'un brin de paille] [La Disparition]
[Flaubert] [Zola] [Perec]

Textes du groupement

 Madame Bovary
Moeurs de province
,
1857

C'était sous le hangar de la charreterie que la table était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots, et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l'oseille. Aux angles, se dressait l'eau-de-vie dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons, et tous les verres, d'avance, avaient été remplis de vin jusqu'au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d'eux-mêmes au moindre choc de la table, présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses ; et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. A la base, d'abord, c'était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d'étoiles en papier doré ; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d'oranges ; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturels, en guise de boules, au sommet.
Jusqu'au soir, on mangea. Quand on était trop fatigué d'être assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait à table. Quelques-uns, vers la fin, s'y endormirent et ronflèrent.  

G. Flaubert,
1821-1880

Centres d'intérêt.

Vocabulaire :
Nonpareille : "petit caractère d'imprimerie", mais aussi "ce qui n'a pas son pareil en fait de petitesse".
Stuc : composition de plâtre qui imite le marbre
Angélique : plante utilisée en confiserie
Écale : enveloppe recouvrant la coque des noix ou des noisettes.
Escarpolette : balançoire
Situation :Texte qui se situe après la description de la procession nuptiale : une parodie de procession, une parade de noce paysane dénaturée
Dans cet extrait, le narrateur garde son rôle de conteur, témoin scrupuleux et amusé par une parodie de repas de noce...
Remarques : (J. Ricardou) "c'est au sommet du texte que se trouve la base [de la pièce montée], c'est à la base du texte que se trouve le sommet "de la pièce montée ainsi renversée ! Cette table est comme la lecture symbolique (interne à la fiction) d'un ratage à venir : ce couple ne tiendra pas debout..
La table "dressée" est peut-être excitante à l'oeil, mais la pièce principale est mal montée.. Comme Charles, elle peut faire illusion, mais pas longtemps...
"Règne de l'instablilité et de la dégradation" (Fabien)


Manet, le déjeuner 1868

Suite du texte : Charles "n'avait pas brillé pendant la noce. Il répondit médiocrement aux pointes, calembours, mots à double entente, compliments et paillardises que l'on se fit un devoir de lui décrocher dès le potage.
Le lendemain, en revanche, il semblait un autre homme. C'est lui plutôt que l'on eût pris pour la vierge de la veille, tandis que la mariée ne laissait rien découvrir où l'on pût deviner quelque chose.
"


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 Ventre de Paris,
1873

Mais c'était surtout sur la table que les fromages s'empilaient. Là, à côté des pains de beurre à la livre, dans des feuilles de poirée, s'élargissait un cantal géant, comme fendu à coups de hache ; puis venaient un chester, couleur d'or, un gruyère, pareil à une roue tombée de quelque char barbare, des hollande, ronds comme des têtes coupées, barbouillées de sang séché, avec cette dureté de crâne vide qui les fait nommer têtes-de-mort. Un parmesan, au milieu de cette lourdeur de pâte cuite, ajoutait sa pointe d'odeur aromatique. Trois brie, sur des planches rondes, avaient des mélancolies de lunes éteintes ; deux, très secs, étaient dans leur plein, le troisième, dans son deuxième quartier, coulait, se vidait d'une crème blanche, étalée en lac, ravageant les minces planchettes, à l'aide desquelles on avait vainement essayé de le contenir. Des port-salut, semblables à des disques antiques, montraient en exergue le nom imprimé des fabricants. Un romantour, vêtu de son papier d'argent, donnait le rêve d'une barre de nougat, d'un fromage sucré, égaré parmi ces fermentations âcres. Les roquefort, eux aussi, sous des cloches de cristal, prenaient des mines princières, des faces marbrées et grasses, veinées de bleu et de jaune, comme attaqués d'une maladie honteuse de gens riches qui ont trop mangé de truffes ; tandis que, dans un plat à côté, des fromages de chèvre, gros comme un poing d'enfant, durs et grisâtres, rappelaient les cailloux que les boucs, menant leur troupeau, font rouler aux coudes des sentiers pierreux. Alors, commençaient les puanteurs : les mont-d'or, jaune clair, puant une odeur douceâtre ; les troyes, très épais, meurtris sur les bords, d'âpreté déjà plus forte, ajoutant une fétidité de cave humide ; les camembert, d'un fumet de gibier trop faisandé ; les neufchâtel, les limbourg, les marolles, les pont-l'évêque, carrés, mettant chacun leur note aiguë et particulière dans cette phrase rude jusqu'à la nausée ; les livarot, teintés de rouge, terribles à la gorge comme une vapeur de soufre ; puis enfin, par-dessus tous les autres, les olivet, enveloppés de feuilles de noyer, ainsi que ces charognes que les paysans couvrent de branches, au bord d'un champ, fumantes au soleil. La chaude après-midi avait amolli les fromages ; les moisissures des croûtes fondaient se vernissaient avec des tons riches de cuivre rouge et de vert-de-gris, semblables à des bles-sures mal fermées ; sous les feuilles de chêne, un souffle soulevait la peau des olivet, qui battait comme une poitrine, d'une haleine. lente et grosse d'homme endormi ; un flot de vie avait troué un livarot, accouchant par cette entaille d'un peuple de vers. Et, derrière les balances, dans sa boite mince, un géromé anisé répandait une infection telle, que des mouches étaient tombées autour de la boîte, sur le marbre rouge veiné de gris.

E. Zola,
1840-1902

Centres d'intérêt (Claire).

Vocabulaire : chaque fromage est nommé, comme le ferait un fromager
Situation :
Remarques : - Naturalisme et réalisme ; un vocabulaire d'expert !
- La profusion : la richesse et dégradation
Fonctions de la description : symbolique ("les gros") ; prouesse narrative


Chardin, la raie 1728

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 Le Ventre de Paris,
1890

Au milieu du grand silence, et dans le désert de l'avenue, les voitures de maraîchers montaient vers Paris, avec les cahots rythmés de leurs roues, dont les échos battaient les façades des maisons, endormies aux deux bords, derrière les lignes confuses des ormes. Un tombereau de choux et un tombereau de pois, au pont de Neuilly, s'étaient joints aux huit voitures de navets et de carottes qui descendaient de Nanterre; et les chevaux allaient tout seuls, la tête basse, de leur allure continue et paresseuse, que la montée ralentissait encore. En haut, sur la charge des légumes, allongés à plat ventre, couverts de leur limousine à petites raies noires et grises, les charretiers sommeillaient, les guides aux poignets. Un bec de gaz, au sortir d'une nappe d'ombre, éclairait les clous d'un soulier, la manche bleue d'une blouse, le bout d'une casquette, entrevus dans cette floraison énorme des bouquets rouges des carottes, des bouquets blancs des navets, des verdures débordantes des pois et des choux. Et, sur la route, sur les routes voisines, en avant et en arrière, des ronflements lointains de charrois annonçaient des convois pareils, tout un arrivage traversant les ténèbres et le gros sommeil de deux heures du matin, berçant la ville noire du bruit de cette nourriture qui passait.
Balthazar, le cheval de madame François, une bête trop grasse, tenait la tête de la file. Il marchait, dormant à demi, dodelinant des oreilles, lorsque, à la hauteur de la rue de Longchamp, un sursaut de peur le planta net sur ses quatre pieds. Les autres bêtes vinrent donner de la tête contre le cul des voitures, et la file s'arrêta, avec la secousse des ferrailles, au milieu des jurements des charretiers réveillés. Madame François, adossée à une planchette contre ses légumes, regardait, ne voyait rien, dans la maigre lueur jetée à gauche par la petite lanterne carrée, qui n'éclairait guère qu'un des flancs luisants de Balthazar.
- Eh ! la mère, avançons ! cria un des hommes, qui s'était mis à genoux sur ses navets... C'est quelque cochon d'ivrogne.
Elle s'était penchée, elle avait aperçu, à droite, presque sous les pieds du cheval, une masse noire qui barrait la route.
- On n'écrase pas le monde, dit-elle, en sautant à terre.
C'était un homme vautré tout de son long, les bras étendus, tombé la face dans la poussière. Il paraissait d'une longueur extraordinaire, maigre comme une branche sèche ; le miracle était que Balthazar ne l'eût pas cassé en deux d'un coup de sabot. Madame François le crut mort ; elle s'accroupit devant lui, lui prit une main, et vit qu'elle était chaude.
- Eh ! l'homme ! dit-elle doucement.

E. Zola,
1840-1902

Centres d'intérêt (Jennifer).

Thème : le portrait symbolique d'une cité (Florent, Paris et les maraîchers des halles : quelques personnages centraux)
Fonctions de la description : informative et symbolique (informations internes et externes)
Remarques : un tableau avec "zooms" et "arrêts sur images".
Noter la place du narrateur (elle varie) ; n'a-t-il pas un discours engagé ?
Imges (déjà) du conflit entre les "maigres" et les "gros"
Balthazar, un éclairage, un animal penché sur un homme, le respect de l'homme... une relecture du mythe chrétien et de sa "crêche" : nativité, renaissance...

Fattori Giovanni,
Charettes romaines 1873
Des charettes lourdement chargées sont arrêtées en plein soleil...
Réalisme d'ne scène qui traduit la fatigue et l'usure.

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 La Bête humaine,
1890

Elle, mon Dieu ! cette Flore qu'il avait vue grandir, cette enfant sauvage dont il venait de se sentir aimé si profondément ! Ses doigts tordus entrèrent dans la terre, ses sanglots lui déchirèrent la gorge, dans un râle d'effroyable désespoir.
Pourtant, il s'efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu'avait-il donc de différent, lorsqu'il se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse, souvent déjà il s'était questionné. Sa mère Gervaise, il est vrai, l'avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n'arrivait que le second, elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu'elle était accouchée du premier, Claude ; et aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Etienne, né plus tard, ne semblait souffrir d'une mère si enfant et d'un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais cœur devait coûter à Gervaise tant de larmes. Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal qu'ils n'avouaient pas, l'aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement, qu'on le disait à moitié fou de son génie. La famille n'était guère d'aplomb, beaucoup avaient une fêlure. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu'il fût d'une santé mauvaise, car l'appréhension et la honte de ses crises l'avaient seules maigri autrefois ; mais c'étaient, dans son être, de subites pertes d'équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d'une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s'appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée. Pourtant, il ne buvait pas, il se refusait même un petit verre d'eau-de-vie, ayant remarqué que la moindre goutte d'alcool le rendait fou. Et il en venait à penser qu'il payait pour les autres, les pères, les grands-pères, qui avaient bu, les générations d'ivrognes dont il était le sang gâté, un lent empoisonnement, une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois.
Jacques s'était relevé sur un coude, réfléchissant, regardant l'entrée noire du tunnel ; et un nouveau sanglot courut de ses reins à sa nuque, il retomba, il roula sa tête par terre, criant de douleur. Cette fille, cette fille qu'il avait voulu tuer! Cela revenait en lui, aigu, affreux, comme si les ciseaux eussent pénétré dans sa propre chair. Aucun raisonnement ne l'apaisait : il avait voulu la tuer, il la tuerait, si elle était encore là, dégrafée, la gorge nue. Il se rappelait bien, il était âgé de seize ans à peine, la première fois, lorsque le mal l'avait pris, un soir qu'il jouait avec une gamine, la fillette d'une parente, sa cadette de deux ans ; elle était tombée, il avait vu ses jambes, et il s'était rué.
L'année suivante, il se souvenait d'avoir aiguisé un couteau pour l'enfoncer dans le cou d'une autre, une petite blonde, qu'il voyait chaque matin passer devant sa porte. Celle-ci avait un cou très gras, très rose, où il choisissait déjà la place, un signe brun, sous l'oreille. Puis, c'en étaient d'autres, d'autres encore, un défilé de cauchemar, toutes celles qu'il avait effleurées de son désir brusque de meurtre, les femmes coudoyées dans la rue, les femmes qu'une rencontre faisait ses voisines, une surtout, une nouvelle mariée, assise près de lui au théâtre, qui riait très fort, et qu'il avait dû fuir, au milieu d'un acte, pour ne pas l'éventrer. Puisqu'il ne les connaissait pas, quelle fureur pouvait-il avoir contre elles ? car, chaque fois, c'était comme une soudaine crise de rage aveugle, une soif toujours renaissante de venger des offenses très anciennes, dont il aurait perdu l'exacte mémoire.

E. Zola,
1840-1902

Centres d'intérêt (Morgane).

Thème : le portrait d'un homme (Jacques, personnage central et "serial killer")
Fonction de la description : informative (informations internes et externes)
Problématique : comment le narrateur nous fait-il passer du réalisme au fantastique
- le portrait de Jacques (déresponsabilisation)
- le décor, de la réalité au cauchemar (monstruosité)
Remarques : Importance de l'hérédité dans la définition même du naturalisme.
Noter que Jacques n'existe pas dans la généalogie première de Gervaise (in l'Assommoir)
Zola ancre son récit dans une réalité scientifique :
- depuis Georget (vers 1820), la folie tend à être considérée comme un trouble spécifiquement "moderne", liée aux conséquences du "progrès social".
- Jack l'éventreur défrayait encore la chronique (premier "tueur en série" littérairement aussi populaire) et les techniques de l'enquête policière se modernisent.

Théodore Géricault,
L'Aliéné kleptomane
(détail), 1822

Présentation réaliste d'un "fou".
La représentation ici est celle d'un être humain qui est pris (englué ?) dans son propre univers.

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 Mémoire d'un brin de paille,
1994

C'était alors l'aube d'été. Dans les pare-feu inondés de soleil
... un poing dans l'oreille droite et les yeux grands ouverts.

Christine Lafon
1955

Centres d'intérêt.

Vocabulaire :

Situation : incipit
Remarques (Élodie) : Cela débute comme un conte, avec une description plutôt fonctionnelle du décor comme des personnages et un narrateur omniscient, mais un conte moderne.
Les descriptions sont là pour présenter le décor, et ces personnages "en action". Mais elles ne sont pas minimalistes : les personnages prennent une certaine profondeur et, afin de piquer la curiosité des lecteurs, se tisse autour d'eux un réseau d'oppositions : violence et érotisme, vierge ou libertine, entrée sortie, noble et ignoble (Jean Edmond).
Réalisme, érotisme ou féerique ? Un heureux mélange qui incite à une lecture à prolonger.


Renoir, Chemin dans les hautes herbes 1875

Suite du texte : la vie des deux jumeaux dans un univers jalonné d'obstacles réels, personnels ou que l'on se construit. Il est dur d'être indépendants quand on est des jumeaux !


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La Disparition
1969

Anton Voyl n'arrivait pas à dormir.
... Dutronc chanta du Lanzmann, Barbara un madrigal d'Aragon, Stich-Randall un air d'Aïda. 

G. Perec
1936-1982

Centres d'intérêt.

Vocabulaire : Imbroglio, Jaz, artison, cotillon, madrigal
Situation : incipit
Remarques (Benjamin) : où le "lipogramme" change notre façon de comprendre notre lecture : comme Anton, nous butons "à tout instant".
Cet incipit, comme tout début de roman est d'abord informatif... Mais rien ne fonctionne bien : le "manque" (une insomnie non nommée et ses errances) miment notre difficulté à comprendre, à nous concentrer, à y voir clair Pourtant, les détails sont précis (description d'un "artison"), naturalistes voire, entomologistes.
L'écriture avec des phrases courtes juxtaposées ("il ouvrit son frigo mural, il prit du lait froid, il but un grand bol.") ou les sonorités marquées ("un clapotis plaintif signalait un chaland qui passait") multiplient les touches impressives.


Kandinsky, contrastes sonores 1924

Suite du texte : un jeu pour une écriture qui parle de la disparition de personnages et de la lettre "e"

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